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jeudi 2 mai 2013

Témoignage: Les jeux de rôle d’un papa 3.0

Témoignage de PapaDa : Comme beaucoup d’entre vous, j’ai des parents, des frères, une femme, des enfants, des neveux, des nièces, des filleuls, des potes, des amies, des collègues, des connaissances éloignées et de multiples réseaux de connexions virtuelles.
J'entretiens avec chacune de ces composantes importantes de ma vie une interaction particulière selon notre histoire commune, nos rêves partagés et l’instant présent. Je suis donc parfois l’ami, parfois le mari, parfois le père et parfois le collègue. En effet, j’ai toujours su, depuis ma tendre enfance, dissocier et donner un environnement relationnel propre pour chaque sphère. Ainsi, je ne me comportais pas de la même façon, ou plutôt, je ne dévoilais pas la même facette de ma personnalité selon si j’étais avec mes parents ou mes amis. Comme on ne mélange pas le privé et le professionnel, j’étais radicalement différent pendant mes heures de travail que durant les heures «à la maison».


LA CHUTE
Je me trouvais parfois schizophrène mais pensais en même temps que la vie en société demandait une grosse dose d’adaptation. Sûrement que les normes apprises durant toute ma vie : être tolérant, flexible, ouvert au changement et voir la capacité d’adaptation comme forme d’intelligence suprême, ont été une justification de ma vision très compartimentée de la vie et des relations. Mais voilà, cette vision compartimentée me demandait tout de même beaucoup d’énergie et de temps de méditation afin de conserver dans la durée, d’année en année, une personnalité multiple mais stable. Je ne pouvais anticiper que les belles théories d’adaptation et de flexibilité de l’être humain ne s’appliquait que dans un monde sans émotion, du moins, sans émotion trop grande. Je parle de ces émotions dont personne ne parle par peur ou par oubli traumatique.

En effet, en très peu de temps, j'ai perdu mon père, terrassé par une 2ème vague de cancer, eu une empoignade avec mon grand frère, obtenu un Master universitaire, déménagé de chez ma mère, connu une période de chômage, eu le bonheur de me fiancer, eu 2 enfants, trouvé un nouveau travail, déménagé et choisi d’arrêter de pratiquer ma passion: la musique. A tel point qu’en 3 ans, ma vie avait complètement changé sur le plan de la famille, des activités quotidiennes et de la localisation. Bien entendu, j’ai continué pendant tout ce temps à me comporter comme on me l’avait toujours proposé: adaptation, flexibilité et positivité.

Mais voilà qu’un beau matin, je me suis senti totalement perdu. Je ne savais plus qui j’étais et me demandais qu’est-ce qui me liait vraiment aux autres. Mes amis, pourquoi sont-ils mes amis ? Ma femme, m’aimait-elle vraiment pour ce que je suis ? Ma famille, savait-elle réellement qui j’étais au fond de moi ? Mes collègues, est-ce bien le vrai moi qu’ils apprécient tant ? J’avais l’impression d’être face à un vide interne. Moi qui ai le vertige, je n’arrivais pas à dépasser ce sentiment de perte de contrôle. Cela s’est traduit par une grande colère et un renfermement. Ce vide happait mes pensées et ma femme me faisait remarquer que je n’entendais pas ce qu’elle me disait et que je ne répondais plus. Et il ne s’agissait pas d’une métaphore mais bien de moments d’absence, où on pouvait me parler et mon esprit était hermétique aux stimuli de la réalité. Je partais dans mes pensées, incapable de rester psychiquement présent. J’ai d’abord cru que l’une des peurs familiales se réalisait : un problème neurologique ou des prémices de maladies cérébrales. En effet, un certain nombres de membres de ma famille ayant succombés d’attaque cérébrale, je voyais une cause physique à mes absences. Un autre symptôme fut mon incapacité à me rappeler de certaines périodes de ma vie ainsi qu’une impossibilité à me remémorer des décisions du quotidien : des rendez-vous, des choix et même des moments vécus.

L'ATTERISSAGE
Au bout de 6 mois dans cet état, ma femme, dont la perspicacité m’étonne encore aujourd’hui, tira la sonnette d'alarme : soit je faisais un travail sur moi-même, soit notre couple allait dans le mur. Mais la sensation de vertige face à ce vide était tellement grande que j’eu beaucoup de mal à oser le regarder et l’affronter. Le déclic est arrivé le jour où je me suis autodétruit en absorbant une dose trop grande d’alcool. Soit une bouteille de rhum sec quasiment à moi tout seul. Je pris la décision de ne plus recommencer et de prendre rendez-vous avec un spécialiste, un psy. Après 3 mois de séances, à discuter de choses et d’autres, nous avons mis le doigt sur un élément majeur : je vivais ma vie comme une suite de jeux de rôles au lieu de vivre plusieurs vies en jouant un seul rôle. La nuance est faible mais déterminante.

En effet, je devais apprendre à ne plus être juste papa en étant avec mes enfants, mari avec ma femme, l’ami avec mes potes ou le professionnel avec mes collègues. Je devais apprendre à être tout cela en même temps, peu importe mon interlocuteur. Par exemple, je devais être pour mes enfants : un papa génial, passionné de hip hop, ayant besoin de vivre des moments en amoureux avec leur mère, aimant faire la fête avec ses potes et donnant beaucoup à son travail. En résumé, je devais être un « moi » entier et non dispatché en plusieurs facettes. Ceci m’a fait prendre conscience de beaucoup de choses et m’a permis de reprendre le dessus face à cette sensation de vide. Le chemin vers l’unification du puzzle que j’étais devenu allait certes prendre du temps, mais je me sentais prêt à me retrouver. A l’heure actuelle, je me sens plus complet et plus présent dans cette vie. J’ai renoué un dialogue constructif avec ma femme, j’échange mes points de vue avec mes enfants, m’organise beaucoup mieux avec mes amis pour les fiestas. Reste une zone assez complexe, celle du travail, car cette démarche implique que les personnes que vous avez en face de vous soient ouvertes à ce genre de changements ce qui n’est pas toujours le cas dans le monde professionnel. Mais je ne doute pas que la dynamique qui s’est enclenchée en moi va aussi influencer ma vie professionnelle.

REMISE EN SELLE
Ce que je voudrais garder de cette expérience de vie, c’est le fait que rien ne nous forme, ne nous prépare ou ne nous oriente pour faire face à une vie d‘un papa 3.0. Nous sommes de cette génération dont les coutumes sont loin de la vision familiale de nos politiques à Berne. Et en même temps, nous devons tout de même répondre aux valeurs sociales d’un monde en crise, qui tend vers l’immédiateté et l’occultation des contraintes de chacun. Il est important de se donner le temps et de le prendre pour méditer sur les multiples changements quotidiens. Les changements dans ma vie sont assez communs à tous au fond mais la société, de nos jours, nous demande d’absorber les chocs de la vie le plus rapidement possible au risque de ne plus prendre le temps de bien digérer cette nourriture de l’âme. A nous, hommes avec un petit h, de ne pas utiliser notre femme, nos enfants et nos proches comme airbag de ces chocs. Ce qui arrive malheureusement trop souvent.

Je vous remercie d’avoir lu cet article très personnel mais qui je l’espère permettra à quelques-uns de se reconnaître et de mieux appréhender certaines période difficiles liés aux rôles, pardon, aux activités de papa 3.0.

A bientôt,
PapaDa


2 commentaires :

  1. Très beau témoignage et beaucoup de bonheur à la famille 3.0

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  2. Merci à PapaDa pour ce témoignage fort et touchant. Que son nouveau puzzle de vie soit beau et solide!

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